L'annonce
" Un jour ils sont à table il est midi, quelqu'un à la porte de la salle à manger demande à parler à Madame Lamar. C'est un planton indigène en kaki, un homme du Territoire. Il n'entre pas. C'est elle qui sort dans le soleil. On n'entend pas ce qu'ils se disent mais seulement une musique sombre avec des pointes d'aigus déchirants. On n'entend pas mais on sait qu'on est dans l'attente, en suspens du tragique. Madame Lamar rentre enfin, s'assied, pâle. Elle dit "C'est Ignace ... il est tombé dans le fleuve... les crocodiles... les crocodiles l'ont... il est mort."
Christine ne comprend pas les mots, ces mots simples. Ils ont une résonance insolite. Alors elle dit non, non, que c'est faux, que c'est la chose la plus idiote qu'elle ait jamais entendue, qu'elle ne veut pas, non.
Puis, peu à peu, par vagues, le chagrin s'insinue, s'installe, puis se transforme en cette douleur blanche, opaque qui prend toute la place, même celle de la colère"
(texte de Christine KILIS)
La photo a été prise par ma mère dont on voit l'ombre portée en avant-plan, à Kongolo, province du Katanga, en juillet 1952, à l'époque du Congo belge.
Ignace était un jeune garçon de 14 ou 15 ans à cette date qui était notre "Boy Moké", celui qui s'occupe des enfants.
La gamine blonde à sa gauche est ma soeur.
Petit Louis, 18 mois, est dans la poussette que conduit Ignace pour aller à la messe du dimanche.
C'est Ignace qui m'a ouvert les yeux sur le monde, qui m'a fait découvrir l'Afrique noire - mon vrai pays - qui m'a initié aux choses de la vie en assurant constamment une protection vigilante et pleine de tendresse maternelle.
Il m'a appris à apprécier cette vie sauvage, sans limites, sans barrières à l'horizon - et l'horizon c'était le bout de la terre pour le petit enfant que j'étais - et à prévoir les dangers d'un environement peuplé d'animaux étranges : araignées, termites, chauve-souris Vampire à tête de chiens, caméléons, mangoustes, hyènes, phacochères, buffles, et, crocodiles ... Je lui dois une grande part dans la formation de ma personnalité.
Quelques années plus tard, Ignace est inopinément tombé du bateau sur lequel il navigait sur le fleuve Lualaba ...
Le texte ci-dessus écrit par ma soeur relate l'annonce que l'on nous fit de son décès, il devait avoir 18 ou 19 ans à ce moment-là.
Plus d'un demi siècle a passé depuis, et il m'arrive fréquement de repenser avec émotion à ce jeune garçon exceptionnel, et cet adjectif est trop faible encore.
Je lui dédie cet article - les larmes aux yeux - à l'occasion des 50 ans de l'indépendance du Congo.
Akishanti mingi, mingi, Ignace, jamais je ne t'oublierai, jusqu'a mon dernier souffle ...
Si le Paradis existe, tu dois y être au tout premier rang.
Kwa éri !